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Que se passe-t-il vraiment quand nous pensons faire du “design” ? Un questionnement qui trouve toute sa pertinence dans le contexte actuel. À un moment où l’urgence des transformations sociales, environnementales et industrielles impose une nouvelle pensée et de nouvelles approches, il est nécessaire de s’interroger sur nos pratiques quotidiennes en tant que designers. Que se passe-t-il vraiment, derrière le rideau des narratives du design-tout-puissant dont nous nous complaisons gentiment ? Cette rhétorique est-elle réellement sincère et efficace, adaptée à la criticité des enjeux de développement durable, alignée avec les réalités économiques ?

Je reprend ici le fil d’une réflexion qui a son origine il y a une dizaine d’année, quand à l’invitation de Marina Wainer j’ai eu l’opportunité de proposer un premier bout de questionnement à l’occasion d’une soirée de la série *dizain*, une initiative organisée à l’époque par l’association Designers Interactifs, en octobre 2015 au Grand Palais. La vidéo de cette courte intervention est visionnable ici

J’avais été franchement surpris par l’écho favorable que cette présentation, née dans un esprit plutôt intime, a suscité. Dans les rencontres qui ont suivi, j’ai eu une discussion passionnante avec Milan Guenther, qui m’a suggéré de creuser et développer ces intuitions sous un format plus long et participatif.

Cela est finalement devenu un projet de master class dans le cadre d’une des éditions de la  la conférence Intersection, notamment celle de 2016, à Copenhague.

Intitulée Sense of doubt: What we actually do when we think we’re doing “design” et conçue avec Ilaria Monteverdi, cette master class adoptait une approche anthropologique pour décrypter les récits et les croyances qui entourent la notion de « design », telle qu’elle est utilisée dans les formulations courantes – UX Design, Design Thinking, Service Design… L’objectif était d’engager les participants dans un questionnement sur les significations implicites que ce jargon fourre-tout véhicule, et observer, de façon expérimentale, quels sont les biais que cela peut produire dans la réflexion autour d’un business case concret.  L’idée était – et est encore – la suivante : l’ensemble de rituels et de processus qui fabriquent le design semble désormais être devenu une croyance implicite et incontestable – alors que nous faisons systématiquement l’expérience d’une foule de malentendus criants autour de son sens profond. Nous baignons dans les images projetées par un kaléidoscope de visions différentes, ripolinées par un vernis jargonneux qui nous donne l’illusion d’évoluer dans un système cohérent et partagé de pratiques universelles.   Lors de la master class, qui avait été pensée sous la forme d’un atelier collaboratif ouvert à une trentaine de participants, provenant de parcours variés, nous avions eu l’occasion d’initier un questionnement autour de la nature du « dieu design » et de ses pratiques connexes. Cela avait été le début d’une réflexion que j’ai depuis cherché à développer au gré des opportunités offertes par la pratique professionnelle menée avec mon équipe au sein d’Attoma (aujourd’hui Assist Digital France). Pour répondre de façon efficace aux besoins des entreprises et des organisations, il ne suffit plus en effet de dérouler des mécaniques méthodologiques auto-référentielles. Nous devons prendre du recul pour confronter les pratiques opérationnelles aux croyances, analyser les préjugés et les conditionnements qui structurent la narration de ce qu’on croit faire, au regard de ce qui est effectivement produit et à son impact réel.   Parmi les questions clés : 

  • Quelles sont les tautologies utilisées pour construire et renforcer le grand récit du « design », que certains se plaisent à imaginer comme un chemin sacré capable de résoudre toute sorte de problèmes humain, social, environnemental et industriel ? 
  • Pour quelle raison on a glissé vers un vocabulaire et une rhétorique qui semblent sortir directement d’une néo-religion révélée ?
  • Dans quelle mesure la doxa idéologique et méthodologique, par un mécanisme auto-prédictif, crée-t-elle les conditions de renforcement du statu quo qu’on voudrait en revanche faire évoluer, en jouant paradoxalement un rôle de frein à l’innovation ?

Quand j’ai l’occasion de porter ce discours, comme dernièrement à Bruxelles lors de la PechaKucha Night Vol. 66, organisée en mai 2023 par mon cher ami Alok Nandi, c’est comme si l’audience assistait en live au déchirement du voile de Maya. C’est jouissif et frustrant à la fois : tout cela paraît une évidence, et pourtant, faire atterrir cette réflexion sur le terrain des projets, ça semble un objectif inatteignable. Mon intuition, c’est que nous sommes arrivés à la fin de la “pensée autour du design” que nous déployons, sans évolutions notables, depuis plus de deux décennies. Pourtant, le monde n’est plus le même, et nous sommes prisonniers d’un carcan qui est de plus en plus obsolète. Déjà, c’est un constat. Penser ce qui viendra après, en revanche, c’est un autre sujet.

À propos de l’auteur

Construire l’expérience de la ville

Le concept d’expérience utilisateur ne s’applique pas seulement aux produits et aux services numériques. Il est également pertinent pour les espaces urbains dans lesquels nous évoluons au quotidien, qu’il s’agisse d’expériences individuelles ou collectives. Afin de promouvoir les disciplines du design auprès de ses publics, Réseau Canopé* a créé une web-série intitulée À quoi sert le […]

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10 mai 2024

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