Le design de l’IoT : de nouvelles têtes autour de la table à dessin (3/3)

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La relation homme-machine, un enjeu stratégique, théorique et éthique (photo by Andy Kelly on Unsplash)

La révolution de l’IoT exige de nouveaux paradigmes de conception. Chaque semaine, nous présenterons le point de vue d’attoma sur la nécessité de penser les objets et systèmes connectés en fonction de leur utilité pour faciliter leur appropriation par les utilisateurs, dans la vie quotidienne comme dans le domaine industriel.

La revanche de la cognition

Notre espèce a imaginé et construit un monde extraordinairement complexe, qui nous dote de capacités formidables, grâce à notre talent incroyable pour inventer des béquilles cognitives et toutes sortes de prothèses technologiques qui augmentent nos capacités. Mais notre cognition n’a pas évolué pour autant ! Alors que l’on est arrivés à un consensus sur le fait que les ressources naturelles sont limitées, on vit encore dans la croyance que nos capacités cognitives, en revanche, ne le seraient pas. Mais peu importe la technologie qui nous entoure, on reste de ce point de vue les chasseurs-cueilleurs façonnés par leurs enjeux de survie dans la savane. Ainsi, on ne sait faire rien d’autre que convoquer ces mêmes capacités cognitives pour évoluer dans le monde actuel, qui est quand même un peu plus compliqué.

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Des compétences diverses, mais la même cognition (photos by Mali Maeder on Pexels and IdobiCC BY-SA 3.0)

Aussi, il faut bien comprendre qu’un usage en chasse un autre. Notre cerveau, et c’est l’une des qualités les plus admirables que l’on ait, filtre sévèrement les inputs de l’environnement externe en fonction de l’intérêt et du plaisir ressentis. De plus, on est une espèce très paresseuse : on n’a pas envie de faire l’effort d’apprendre des nouveaux protocoles et des syntaxes d’usage différents tous les deux jours. Concrètement, pour qu’une application trouve une place dans le smartphone qu’on a dans la poche, et pour qu’elle soit ensuite réellement utilisée, il faut qu’elle porte une proposition de valeur d’usage réellement formidable.

Cette réalité soulève une question intéressante : les enjeux de l’IoT ne nous feraient-ils pas revenir à l’origine du design industriel, en nous amenant à nous intéresser plus aux usages et au cognitif — les aspects comportemental et réflexif — qu’à l’apparence et à l’esthétique — l’aspect émotionnel et viscéral ?

Nouvelles interactions, nouvelles interfaces…

« Des cartes perforées à la saisie de suites de caractères absconses, jusqu’à l’invention de l’interface graphique, l’évolution de l’informatique est en partie l’histoire des modalités d’interaction. »[*]

Au moment où l’on est peut-être en train de vivre la fin des interfaces graphiques, on doit en effet se demander comment on pourra interagir avec ces objets et systèmes connectés.

Nous connaissons déjà les interfaces de commande binaire comme le fameux bouton Dash d’Amazon : quand on a terminé sa boîte de rasoirs par exemple, on appuie et on génère une commande, c’est élémentaire, anodin. Il y a aussi Alexa et toutes sortes d’interfaces conversationnelles, qui représentent un axe de développement énorme du point de vue de la technologie et aussi, bien évidemment, du point de vue du design. Enfin, il y a les interfaces biométriques, comme le système Face ID de l’iPhone X, qui est aussi une interface de commande, limitée aujourd’hui à une fonction d’identification et d’activation, mais susceptible d’évoluer vers des territoires plus sophistiqués dans un futur proche. Et derrière ça, en allant plus loin, il y a aussi le scénario de la disparition pure et simple de la notion d’interface, en imaginant des systèmes opérés par leur propre intelligence suivant des arbitrages dynamiques fondés sur le comportement naturel de certaines populations d’utilisateurs/agents dans un contexte donné. Nous voilà donc chez Lewis Carroll, avec des non-interfaces qui nous rappelleront (ou pas) de célébrer des non-anniversaires…

La vidéo de présentation de Duplex, l’intelligence artificielle de Google capable de passer des appels et de mener une conversation

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Tout cela pose des questions méthodologiques complètement nouvelles, notamment autour de la notion d’architecture de l’information. Notre conviction aujourd’hui est qu’il est nécessaire de reformaliser cette discipline — inscrite par ailleurs au cœur de l’ADN d’attoma depuis ses débuts — pour en faire le socle d’une nouvelle génération de processus de conception. Il est devenu essentiel en effet de pouvoir maîtriser l’aspect pluridimensionnel de systèmes qui atteignent un niveau de complexité inégalé, et notre constat est que les outils classiques de l’UX design n’ont pas la capacité à le faire.

Tous à l’école !

À nouveau territoire de design, nouvel enseignement du design ! Le design de l’IoT est affaire de sémantique et de sémiologie : il faut apprendre à appeler et représenter ces objets et systèmes, inventer de nouveaux codes, comme le montrent les tentatives faites avec les objets connectés totémiques. On doit aussi se pencher sur la question de la psychologie du dialogue homme-machine en langage naturel : il faut apprendre à parler avec une machine comme si c’était un humain — tout en le pensant de façon particulière parce que la machine n’est pas un humain — et comprendre ce qu’est un dialogue, ce qu’est dessiner un dialogue, quand on est immergés dans un système intelligent, capable de modifier ses réponses par rapport au contexte et à la personne concernée. Est-ce du scénario de cinéma ? De la chorégraphie ? Ou carrément de la philo, et plus précisément de la maïeutique ? Voilà des disciplines qu’on n’apprend pas en école de design.

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L’IoT et l’IA obligent à renouveler connaissances et compétences (photo by Wesley Caribe on Unsplash)

Même chose pour les aspects sociologiques, anthropologiques et éthiques de l’IoT et de l’Intelligence Artificielle, traités souvent de façon superficielle, si ce n’est même de façon biaisée. À notre avis, le manque de sensibilité à ces problématiques-là posera problème à un moment donné.

En effet, il n’y a pas de fatalité : l’histoire nous apprend que l’adoption de l’innovation est aléatoire et qu’elle suit des chemins parfois contre-intuitifs. Dès lors, tout devient possible, pour le meilleur et pour le pire. Et il devient nécessaire d’être bien armés intellectuellement pour se donner les moyens d’avoir un impact réel sur le monde de demain. Les futurs designers doivent intégrer le fait que ce n’est pas « le design » qui va sauver le monde, pour paraphraser une citation très courue parmi les étudiants**, ni d’ailleurs les technologies, mais la connaissance de l’humain — à commencer par soi-même.

Vous voulez en savoir plus ? Engager une conversation ? Écrivez-nous à attomalab@attoma.eu

Giuseppe a crée l’agence attoma à Paris en 1997, après des premières expériences variées dans le milieu extraordinairement riche et stimulant du design milanais des années ’90. Depuis, attoma est devenue une référence dans le domaine du design de services, dont elle a été l’un des pionniers en France, et du design de l’expérience. Tout au long de sa carrière, Giuseppe a été porté par une curiosité inépuisable et par la conviction inébranlable que le design peut réellement contribuer à construire un monde plus facile à vivre, plus inclusif, plus durable, et finalement plus beau. En 2019, Giuseppe a décidé de rejoindre le groupe Assist Digital, avec lequel il a trouvé une résonance évidente concernant l’attention portée à la qualité des relations humaines et à l’engagement éthique dans le business.