Information et mobilité (3/3) : penser des systèmes pour les humains

Après sa série sur la fluidité des usages, attoma se penche pour trois semaines sur l’importance vitale de repenser l’information dans le domaine de la mobilité. Un thème que nous explorons au quotidien dans notre agence de design de services notamment au cours de nos missions pour les principaux acteurs du secteur, comme SNCF, RATP, Société du Grand Paris, Transdev, STIF, SYTRAL, Grand Lyon…

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Informer, c’est communiquer une différence

Dans un déplacement, on a un point d’origine et un point de destination, et entre les deux, quelque chose varie : la position d’un individu dans l’espace et dans le temps. Cela se traduit par le tracé d’un trajet et par une durée estimée de parcours. L’enjeu clé lorsqu’on fait du design d’information, c’est de concevoir la mise en scène de ces différences, pour qu’elles soient comprises et perçues comme pertinentes par la personne qui doit prendre une décision dans un contexte donné.

Au début des années ’30, quand aux États-Unis la signalisation routière est devenue une nécessité, un organisme unique a établi des règles communes pour tous les états. Ces mêmes principes ont fini par être adoptés de façon relativement cohérente partout dans le monde, et sans doute ils resteront tels qu’ils sont aujourd’hui au moins jusqu’à l’avènement des véhicules autonomes, qui vont rendre inutiles des informations destinées aux être humains.

Imaginons en revanche un univers dans lequel ce processus de convergence ne se serait pas produit, et dans lequel chaque état, chaque région, chaque département, aurait sa propre syntaxe de signalisation routière : on peut facilement imaginer les problèmes que cela pourrait créer, par exemple lors d’un trajet entre Paris et Milan. Et bien, c’est exactement ce qui se passe dans le domaine de l’information de mobilité multimodale et intégrée (« combined mobility »). Sauf qu’aujourd’hui, on peut s’interroger sur les chances de succès d’une ambition normalisatrice globale. En effet, il faut sans doute accepter qu’on n’aura plus jamais un macro-système réellement homogène, une sorte de lingua franca universelle de la mobilité. Cette vision avait sans doute du sens à l’époque de l’essor des réseaux de circulation routière, à un moment où le nombre de décideurs était limité et les modèles de gouvernance, centralisés, mais est clairement dépassée aujourd’hui.

L’enjeu de l’information de mobilité aujourd’hui oscille entre deux injonctions : Adapter l’information à chaque contexte et à chaque individu et Produire une information homogène que tout le monde est capable de comprendre, partout.

Dans nombre de missions que nous réalisons à l’agence attoma, notre rôle consiste essentiellement à conseiller nos clients sur la meilleur façons de placer le curseur entre ces deux extrêmes, en fonction de la nature du système, des contextes locaux, des technologies, des usages, des modèles économiques, ainsi que du cadre réglementaire… sans oublier les stratégies contradictoires des parties prenantes et les conflits de gouvernance, parfois aberrants mais souvent déterminants.

Par exemple, nous avons réalisé dans le temps un certain nombre de projets de systèmes d’information sur écrans embarqués dans les véhicules — bus, tramways, métros, train régionaux. On pourrait penser que c’est toujours la même chose : on a besoin de savoir quel est le prochain arrêt, quelles sont les lignes en correspondances, quelle heure est-il et s’il il y a une perturbation, etc. Et pourtant, ce n’est pas toujours pareil. Notamment, on n’aura pas besoin de la même granularité d’information ou de la même profondeur de champs si on parcourt une ligne périurbaine de bus en site propre, plutôt qu’une ligne urbaine à haute fréquence. La scénarisation de l’information ne sera pas tout à fait la même, comme nous l’avons constaté en réalisant ce type de projets pour des villes comme Paris, Bruxelles, Lille, Dijon, Rennes,… De même, quand on s’intéresse à la notion de « perturbation », autre sujet sur lequel on a eu l’opportunité de se pencher dans différents contextes, on se rend compte rapidement qu’on ne parle pas de la même chose quand on fait référence à une ligne de métro dans un réseau très maillé, plutôt qu’à un tronçon au fin fond d’une branche du fameux RER C… Je précise au passage que je n’ai rien contre le RER C, sauf que je n’ai jamais compris pour quelle raison absurde il a été décidé de continuer à le présenter comme une ligne unique, alors que l’ouverture progressive de nouvelles branches a fini par créer dans le temps un sous-réseau au dessertes multiples, parfaitement illisible dans son ensemble.

La simplicité : le choix révolutionnaire d’un monde pensé pour les humains

Ceci étant, comment introduire un minimum de simplicité et de stabilité ? Comment s’assurer, au delà des variations dialectales propres à chaque contexte, de l’interopérabilité logique des informations et de leur accessibilité ? Car si certains individus parviendront à jouer de toutes les syntaxes informationnelles proposées, en « nouveaux polyglottes », d’autres, moins expérimentés ou simplement moins intéressés, pourraient simplement ne pas pouvoir accéder à des pans entiers d’une offre de mobilité de plus en plus riche et fragmentée à la fois. En effet, même si cela peut sembler paradoxal et contre-intuitif, il se trouve que la richesse de l’offre de mobilité, est par elle même un facteur d’exclusion.

Face à cela, notre réponse peut sembler banale : plutôt qu’espérer des miracles d’un demain radieux dans lequel la magie de l’intelligence artificielle embarquée dans nos smartphones va lisser toutes les aspérités et incohérences du monde, cessons simplement de concevoir des systèmes pourris !

Car le vrai problème avec le design d’information et d’interaction centré sur l’utilisateur… c’est que ce n’est simplement pas possible de rendre utilisables des systèmes qui n’ont jamais pris en compte l’utilisateur lors de leur conception. Ok, essuyons les critiques selon lesquelles on aime jouer les donneurs de leçons (« Si c’était si simple, cher Monsieur, on l’aurait déjà fait, hein »), et rêvons que cela un jour devienne possible. Mais qu’est ce qu’on fait quand on hérite d’un système complexe, qui s’est construit par couches successive, désormais inextricables ?

Il y a une approche très simple, qui a fait ses preuves. Nous l’appelons Hx3 : Hiérarchiser, Hiérarchiser et encore Hiérarchiser. Si l’utilisateur ne devait retenir qu’une promesse ou une fonctionnalité clé, elle serait laquelle ? S’il pouvait en retenir deux ? Et trois ? Appuyée par des prototypes et des tests rapides, cette méthode est imparable, à condition de prendre le risque d’une certaine radicalité. Car à un moment donné, face au constat de la non-viabilité cognitive de systèmes complexes qui n’ont pas été pensés pour les humains… il faut bien faire des choix ! Facile ? Je vous mets au défi de trouver la personne qui voudra — et pourra — faire le choix de débaptiser le RER C, pour en faire finalement un objet cognitif qui ait du sens.

Vous voulez en savoir plus ? Engager une conversation ? Écrivez-nous à attomalab@attoma.eu

Giuseppe a crée l’agence attoma à Paris en 1997, après des premières expériences variées dans le milieu extraordinairement riche et stimulant du design milanais des années ’90. Depuis, attoma est devenue une référence dans le domaine du design de services, dont elle a été l’un des pionniers en France, et du design de l’expérience. Tout au long de sa carrière, Giuseppe a été porté par une curiosité inépuisable et par la conviction inébranlable que le design peut réellement contribuer à construire un monde plus facile à vivre, plus inclusif, plus durable, et finalement plus beau. En 2019, Giuseppe a décidé de rejoindre le groupe Assist Digital, avec lequel il a trouvé une résonance évidente concernant l’attention portée à la qualité des relations humaines et à l’engagement éthique dans le business.

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