Attomalab

12 juillet 2024

Au début de l’année 2012 j’ai eu le plaisir d’échanger avec Loup CellardData Scientist et chercheur en Digital Humanities, à l’époque contributeur du magazine en ligne Strabic. Loup s’intéressait aux évolutions de la cartographie urbaine, au moment où l’agence Attoma venait de finaliser le design UX/UI de la première version “moderne” du site de recherche d’itinéraire Vianavigo.com de l’autorité de transport régionale d’Île-de-France, le STIF, renommé plus tard Île-de-France Mobilités.  

En même temps, en collaboration avec l’excellent designer et expert en cartographie Aurélien Boyer-Moraes, ainsi qu’avec nos complices de l’agence de design graphique Chevalvert, Attoma avait posé les principes de la nouvelle cartographie schématique du réseau TCL de la ville de Lyon et repensé la stratégie cartographique du réseau Divia (Dijon). Bref, le sujet de la représentation cartographique des réseaux, en statique et en digital, était au cœur de nos réflexions de l’époque, et la conversation avec Loup était tombé à point nommé. 

Cet échange a donné lieu à un article que nous republions ici, signé par Loup et Ingi Brown et mis en ligne sur le magazine Strabic le 21 mai 2012. La version publiée ici a été légèrement mise à jour, notamment concernant la correction de certaines imprécisions et la mise à jour de quelques liens désormais obsolètes. Je m’excuse avec les auteurs si en faisant cela j’ai commis quelques erreurs d’interprétation de sens. Les exégètes pourront consulter la publication originale ici.

Giuseppe Attoma Pepe

Alors que les géographes cartographient le réel avec un impératif d’exactitude, les cartes qui structurent notre expérience de la ville se révèlent pleines d’écarts, de raccourcis et de trajets possibles. Attoma, agence pionnière dans le design d’information en France, repense les modes de visualisation de l’offre de transport de l’Hexagone. Cet article est né d’une conversation avec Giuseppe Attoma Pepe, fondateur et directeur de l’agence éponyme.

Attoma : de l’information comme matière à la représentation d’une offre de mobilité

Dès ses premiers projets, l’agence Attoma s’intéresse au design d’information, où les besoins d’organiser la complexité se nichent, comme dans le domaine de l’information financière par exemple. Appliquer le design à l’information, c’est rendre perceptible les flux, les masses de données et ceci avec une visée humaniste : hiérarchiser l’information de manière à ce qu’elle soit accessible par tous.

Rapidement, Attoma se passionne pour le concept de mobilité urbaine, en travaillant sur divers projets autour de la représentation de capacités de mobilité, pour le compte des villes ou des opérateurs d’infrastructures de transport. Dans cette perspective, l’agence réalise entre 2001 et 2007 les bornes RATP du passe Navigo et en 2011, la SNCF R&D fait appel à Attoma pour développer une borne et une application mobile de covoiturage. Avec son expertise en cartographie, Attoma a également réalisé les différents systèmes d’information voyageurs des réseaux de Lyon et Dijon.

La carte de transport : l’héritage du modèle londonien

Le dessinateur industriel Harry Beck développe en 1933 la première cartographie symbolique d’un réseau souterrain, celui de Londres. Ce réseau étant justement sous-terrain, l’innovation de Beck consiste alors à abandonner les positions géographiques des stations au profit de la propre topologie du réseau. Il développe une carte qui ressemble davantage à un schéma électrique qu’à une carte géographique traditionnelle.

Ce mode de représentation a très rapidement connu un succès énorme, en particulier grâce à sa lisibilité, et a depuis servi de canevas pour la majorité des représentations de réseaux de mobilité dans le monde. Et pourtant ce modèle montre aujourd’hui quelques limites. En effet, dans le cas du métro de Londres, pour tenter de désengorger le réseau saturé, des indications de distance à pied sont ajoutées entre les stations qui sont physiquement proches mais éloignées sur la carte. Aujourd’hui nous sommes donc en face de cartes hybrides entre représentation géographique et schéma symbolique. 

La représentation du réseau est rationalisée (peu de signes, logotypes et pictogrammes sans fioriture, couleurs limitées, etc.) mais elle indique plus qu’une direction, c’est-à-dire l’offre globale de services que propose l’opérateur.

Transport for London (TFL) s’est même lancé dans une démarche de pédagogie sur la marche à pied, au travers de projets tels que Legible London, qui propose des cartes de déplacements pour les piétons dans Londres, ou encore des « totems » matérialisant dans la ville le temps de marche entre différents points d’intérêt. Ces totems deviennent alors les nouvelles « stations » de la marche. Avec Legible London, les potentiels de la ville s’ouvrent aux piétons. Et ces bornes nouvelles de prolonger à la surface l’offre de transport organisée en souterrain.

De cette façon, TFL multiplie les relais et les moyens d’accès à l’information-mobilité ; ces bornes sont la matérialisation des différentes options de trajet qu’offre la carte interactive du réseau. Sur cette même carte apparaissent les réseaux de bus, métro, tramway, les accès à chaque station, les horaires des trains et toute autre information complémentaire suivant chaque arrêt.

Autre particularité qui peut dérouter dans un premier temps les touristes habitués aux plans du métro parisien : les spider maps mises en place dans l’offre londonienne. Il s’agit de cartes redessinées à chaque station de métro, où la cartographie du réseau est reconfigurée pour mettre la station au centre.

Nous sommes des cartographes sceptiques

Face aux nouveaux enjeux de mobilité, une carte intelligente et intelligible se doit d’organiser les différentes offres de services, oubliant le référent géographique au profit du besoin de l’utilisateur. Giuseppe Attoma parle volontiers « de la fin de la carte » ! Il s’agit donc de mettre en signe les potentiels de trajets dans la ville.

C’est précisément dans ces croisements que l’agence Attoma a développé son expertise, en analysant les paradoxes de l’usage des cartes aujourd’hui. Ses études montrent par exemple que les cartes de réseau de transport sont de plus en plus utilisées comme uniques cartes de la ville par les touristes. Elles ne sont plus satisfaisantes au regard des usages d’aujourd’hui : la carte schématique d’un réseau de bus ne permet pas de comprendre la ville. Et, face à des projets d’usage de plus en plus diversifiés, une unique carte ne satisfait plus les utilisateurs, qu’ils soient des utilisateurs réguliers ou de nouveaux venus.

De plus, les médias qui supportent ces représentations sont en constante évolution ; l’omniprésent smartphone ne peut être mis à l’écart quant à l’accès à la carte.

Faciliter l’accès à la subjectivité de la carte

Les plus récents projets d’Attoma se sont concentrés sur la notion de feuille de route, selon l’idée d’une « recette de la mobilité personnalisée ». Il ne s’agit plus d’offrir une même représentation, une unique carte monolithique à tout usager mais de définir des critères qui permettent à chacun de demander au système d’information de déterminer des routes adaptées. Les nouvelles formes de la mobilité représentées s’inscrivent plutôt dans une logique de gamme. À chaque besoin sa représentation.

La carte est un outil qui représente un territoire d’action. Les expériences d’Attoma cherchent à explorer des cartes qui ne se limitent plus seulement à représenter des topologies de réseaux mais à investir la notion de « qualité de service ». Par exemple dans le projet pour les TCL (Transports en commun de l’agglomération de Lyon) où les réseaux sont en forte mutation, les cartes mettent en exergue les lignes de bus à haut niveau de service (bus en site propre, à intervalles plus rapprochés que les autres lignes) pour les comparer aux lignes de métro et ainsi indiquer aux voyageurs les équivalences de service. La carte devient plus qu’une représentation géographique d’un réseau : une véritable architecture de l’offre, hiérarchisée, rendant lisible la qualité de service du réseau.

Dorénavant, on se trouve face à un système d’itinéraires avec des drapeaux à placer sur la carte. Ici, on voit bien que l’offre de mobilité a complètement été calquée sur Google Maps. Marche à pied et transports publics peuvent être envisagés dans le même temps. De plus, un ensemble de lieux sont cartographiés : poste, mairie, école, hôpital, supermarché… devenant des points de départ ou d’arrivée potentiels.

La carte universelle n’existe pas

Loin du mythe de la carte parfaite, unique, objective, les défis d’aujourd’hui dans le domaine de la cartographie de la mobilité se situent dans la conception de réponses diversifiées répondant aux besoins des usagers. Ces évolutions entraînent de nouveaux usages et le geste de déplier la carte Michelin est déjà relégué à la mémoire d’antan ! Au contraire, comme l’a bien compris l’agence Attoma, la tendance actuelle semble plutôt se situer dans une réduction progressive de la fenêtre de la carte : de l’ancienne carte routière à l’écran d’ordinateur, en passant par celui du téléphone portable, notre champ de vision semble se réduire de plus en plus. Le cadre devient de plus en plus petit mais aussi de plus en plus transportable (toujours plus de mobilité). Ces cartes connectées permettent de fournir une information en temps réel sur l’état du réseau, et Internet démultiplie la quantité de points de vue et d’informations.

Pour Giuseppe Attoma, cette évolution impose de penser un même projet sur différents supports et différents lieux, donc avec des utilisations multiples. Pour la nouvelle charte graphique du réseau lyonnais, l’agence a par exemple fait appel à un typographe pour dessiner un alphabet lisible à la fois dans l’espace urbain, sur un dépliant imprimé et à l’écran.

Les cartes supposent une connaissance pour pouvoir les utiliser au mieux, qui s’acquiert par un apprentissage de la part des usagers. Les changements de représentations s’accompagnent d’un temps d’adaptation qui peut générer des frustrations et incompréhensions. Au moment du lancement du réseau de Dijon, Attoma a constaté une désorientation et une perte de repères des utilisateurs (causées notamment par le changement de couleur des lignes…). Ce n’est qu’après plusieurs mois que l’offre a été majoritairement acceptée par la population.

Il semblerait que la création de cette offre complète de mobilité doive passer par le numérique. On peut espérer avec l’ouverture des données publiques qu’une offre de services multimodale émergera des acteurs publics et privés, comme de la société civile. C’est la logique d’ouverture du Web 2.0 qui conduira à la création de la ville 2.0. Une ville ouverte sur elle-même, en perpétuelle refonte, organisant la cadence rapide des flux, en adéquation avec les nouveaux usages du numérique dans l’espace urbain.

À propos de l’auteur

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